mardi 24 juin 2014

Wikipédia et la notoriété de la musique : comment une encyclopédie « libre » se met au service des majors

Même si ce n’est pas le sujet de ce blog, je nourris une passion très ancienne pour la musique, et en particulier pour le blues, le rock,  le hard rock et les différents sous-genres du heavy metal, au premier rang desquels le stoner, style dérivé des premiers albums de Black Sabbath. Je suis donc sur les réseaux sociaux de très nombreux groupes, labels, associations, etc. Quelle n’a pas été ma surprise, ce matin, en découvrant l’appel à l’aide (bon, c’est un peu fort, peut-être) du groupe alsacien Los Disidentesdel Sucio Motel (LDDSM), qui est depuis près de dix ans l’un des groupes leaders du stoner en France, avec des participations à de grands événements comme le Hellfest, les Eurockéennes de Belfort ou le Desertfest, en Allemagne. Dans son statut, le groupe appelait les fans français à protester contre la volonté de Wikipédia de supprimer l’article consacré au groupe dans l’encyclopédie en ligne. Comme c’est la coutume, une page de discussion  a donc été ouverte pour débattre de la suppression ou de la conservation de l’article. Indépendamment du fait qu’un groupe que j’apprécie artistiquement et humainement soit concerné, cette décision m’a profondément gêné. Les critères de « notoriété » utilisés par Wikipédia pour décider si un artiste mérite ou non un article, que j’ai lus pour essayer de comprendre l’enjeu du débat, m’ont en effet mis mal à l’aise de la part d’une encyclopédie qui se présente souvent comme l’un des chevaliers blancs d’un internet libre et participatif.



L’article consacré au groupe est donc surmonté d’un bandeau avertissant le lecteur que la suppression de la page est actuellement débattue, avec un lien vers les critères d’admissibilité des articles sur Wikipédia. Suivons ce lien.
Au premier rang de ces critères, on trouve le respect des trois principes fondateurs de l’encyclopédie en ligne :
1.    Wikipédia est une encyclopédie, donc ni un dictionnaire, ni un espace de conseils personnels, de promotion, etc. […]
2.    Wikipédia recherche la neutralité de point de vue, qui est assurée par la vérifiabilité, l'exigence de sources secondaires de qualité (donc une certaine notoriété) […]
3.    Wikipédia est publiée sous licence libre, mais dans le respect des droits d’auteurs.

Wikipédia n’est pas une plateforme publicitaire


Intéressons-nous donc tout d’abord au point 1. L’auteur de l’article propose de consulter, pour plus d’information, une page intitulée « Ce queWikipédia n’est pas », qui regroupe les usages refusés par la communauté d’utilisateurs de manière tacite et validée par l’usage ou explicite.
A la lecture de cette page et de la page de discussion concernant LDDSM, deux critères semblent pouvoir être utilisés pour proposer la suppression de la page : « tribune de propagande ou de promotion » et « support publicitaire gratuit ». Pour le premier, on notera en effet – mais je ne suis pas certain que  les personnes qui ont proposé la suppression de l’article le sachent – que l’auteur de l’article est visiblement un membre du groupe, et je pencherais même pour le bassiste. Cette première objection ne tient pourtant pas longtemps, puisqu’il est  stipulé qu’ « un article peut, bien sûr, rapporter objectivement ce que disent les promoteurs d'un sujet notable, tant et aussi longtemps que cela est fait d'un point de vue neutre », ce qui semble être le cas de l’article en question, qui se contente d’une notice biographique et d’une discographie, sans être particulièrement laudatif, même si quelques détails pourraient être repris.
On le voit, le second point n’est donc pas recevable non plus, puisqu’on peut difficilement considérer cet article comme « [un] article qui [n’est] en fait qu’[un] prospectus publicitaire assurant une promotion commerciale ». Nous allons le voir, ce point est pourtant relié au débat, quoique de manière indirecte.

Des critères de notoriété dictés par l’industrie du disque


Ce qui est en fait contesté par les utilisateurs demandantla suppression de l’article, c’est la conformité au critère de notoriété, dont le second principe fondateur de Wikipédia fait un préalable indispensable à la vérifiabilité de l’information. L’utilisateur PardusTigris écrit ainsi : « Supprimer : Même si présence de quelques sources, il est vrai que le groupe n'est pas populaire. Or qui dit pas de notoriété dit  [cet article n’a pas a place sur Wikipédia] Hors critères Notoriété de la musique ». Il existe en effet unepage détaillant les critères de notoriété s’appliquant aux musiciens. Je copie ci-dessous la les critères s’appliquant aux artistes autres que les musiciens classiques :

Artistes d'autres genres musicaux
1.     A eu un titre dans des hit-parades nationaux dans au moins un pays de taille moyenne ;
2.     A eu un enregistrement vendu à plus de 50 000 exemplaires (disque d'or en France) dans au moins un pays de taille moyenne ;
3.     A fait une tournée internationale ou nationale dans au moins un pays de taille moyenne (rapportée par des sources notoires et vérifiables) ;
4.     A sorti deux albums sur une major ou un label indépendant important ;
5.     L'un de ses membres a fait partie (avant ou après) d'un groupe important ;
6.     A été le représentant le plus important d'un style local ;
8.     A gagné une compétition musicale importante ;
9.     A joué pour un média important (ex. : thème pour une émission de télévision) ;
10.  A été diffusé au niveau national par des radios importantes ;
11.  A été le sujet d'une émission de plus d'une demi-heure sur une radio ou télévision nationale importante.

Pour les compositeurs et paroliers 
12.  A été crédité comme auteur ou compositeur pour au moins un artiste important ;
13.  A écrit une œuvre qui a servi de base pour la composition d'un artiste notoire ;
14.  A été cité comme influence majeure par un artiste important.

Pour les musiciens à l'écart des médias de masse 
15.  Avoir composé des chansons, mélodies ou paroles utilisées dans un genre notoire ou entrées dans la tradition ;
16.  Être fréquemment cité dans les médias consacrés à la contre-culture.

Or là où le bât blesse, c’est que ces critères sont pour la plupart extrêmement subjectifs ou se fondent sur ceux de l’industrie du disque de masse, et sont donc a priori inadaptés à des artistes underground – et LDDSM est loin d’être ce qui se fait de plus underground dans le stoner. Ainsi, les points 1, 2, 4, et 7 à 11 semblent n’être accessibles qu’à des artistes signés sur des majors. En effet, un festival comme le Hellfest, qui rassemble des dizaines de milliers de spectateurs autour de la scène metal, ne compte finalement que très peu d’artistes ayant reçu des disques d’or, puisque le public metal est souvent plus porté sur les concerts et l’achat de merchandising que sur l’acquisition légale de musique, peu de groupes récompensés, puisque les cérémonies françaises comme les Victoires de la Musique ne font aucune place à ce genre musical, peu d’articles signés sur des majors, puisque celles-ci ne se préoccupent que peu d’un genre où le public achète peu de disques, etc. Il en est de même pour les critères concernant la présence médiatique, quasi inexistante dans les musiques extrêmes.
Les critères 3, 4, 5 et 6 et 12 à 15 sont pour leur part extrêmement subjectifs. Pour ce qui est du point 4, quel est le critère de l’importance d’un label indépendant ? Pour en revenir à LDDSM, doit-on considérer que Deadlight Entertainment n’est important que dès lors que le dernier album est distribué par Season Of Mist ? Pour le point 6, LDDSM n’est-il pas le représentant le plus important de la branche strasbourgeoise du stoner ? Qu’est-ce qu’un pays de taille moyenne (point 2) ? Qu’est-ce qu’un média important (point 9) ? Une radio importante (point 10) ? La diffusion fréquente de LDDSM sur Ouï FM, radio partenaire du Hellfest, n’est-elle pas suffisante ? Existe-t-il un article Wikipédia sur le concept d’importance ? Cet article repose-t-il sur des sources secondaires fiables disposant d’une notoriété suffisante pour que leur vérifiabilité soit établie ? L’avis de l’auteur est-il neutre ? Quel est l’âge du capitaine ?
Bref, finalement, le seul critère vraiment adapté est le dernier, mais il est là encore subjectif. En tout cas, il valide l’article sur les Disidentes, fréquemment cités dans la presse underground et présents sur une radio qui, si elle n’est pas grand public, doit bien être underground, car il faut bien que ce soit l’un ou l’autre. De toute façon, ce n’est pas très important, puisque visiblement, les critères sont là pour faire joli : si n’importe qui est capable de les lire et de voir que, dans le cas qui nous occupe, LDDSM mérite bien un article, cela ne suffit pas, puisque Wikipédia ne comptabilise pas tous les avis donnés de la même manière et que, dans une encyclopédie « libre » et « participative », tout le monde n’a pas voix au chapitre.

Et qui donne son avis, d’ailleurs ?


Une fois de plus, le bât blesse. Et ça commence à faire mal. En effet, comme l’explique la page de discussion, « exception étant faite pour le créateur de l’article, les avis d’utilisateurs récemment inscrits, ayant moins de cinquante contributions ou non identifiables (IP) ne sont en principe pas pris en compte ». Donc, pour avoir le droit de donner son avis et que cet avis soit comptabilisé, il faut montrer patte blanche. Et le critère de blancheur, c’est le nombre de contributions sur Wikipédia. 50 au minimum pour que l’avis compte. Et je vous rappelle qu’à la fin, c’est-à-dire au bout de 7 jours en cas  de consensus et 14 sinon, la suppression ou la conservation de l’article est décidée à la majorité des votes « valables ». Drôle de conception d’un internet libre, où une majorité impose son point de vue, et donc où on dénie le droit à une minorité de faire valoir le sien, et où le suffrage est en quelque sorte censitaire. Bien sûr, le but est d’évité que les articles « publicitaires » soient défendus par de « faux » contributeurs ou des voix « achetées ». Mais le système montre bien là ses limites.


Et puis, pourquoi donner son avis ? Et pourquoi voter ?


En définitive, le problème, ce ne sont pas tant les critères ou le mode de décision. C’est le fait qu’une encyclopédie libre se réserve le droit de supprimer un article qui répond pourtant à ses critères d’admissibilité en termes de neutralité, un article purement factuel permettant à celui qui en a besoin de trouver des informations, par exemple à propos d’un groupe de stoner qui l’intéresse. Depuis quand la notoriété est-elle un critère de valeur artistique ? Et même si l’on suit le raisonnement wikipédien qui fait de la notoriété la garantie de la possibilité de trouver des sources secondaires abondantes et de construire un article neutre, en quoi ce raisonnement peut-il s’appliquer à l’art ? Là encore, la neutralité est-elle un critère artistique ? Est-il nécessaire qu’une information soit neutre quand elle se rapporte à l’art ?
Deuxième point que je trouve éminemment contestable, le fait de voter pour ou contre la suppression de l’article. En effet, là encore, recueillir une majorité de suffrages n’a jamais été un critère artistique. C’est encore moins le cas quand les votants sont sélectionnés sur une base qui ‘a rien à voir avec le sujet, à savoir leur activité sur une plateforme numérique. Si j’ai contribué 45 fois à des articles portant sur l’histoire et 5 fois à des articles sur l’art, je peux donc intervenir sur un débat portant sur l’art en m prévalant d’une légitimité qui ne reposera finalement qu’à 10% sur une prétendue expertise artistique, et à 90% sur autre chose qui n’a rien ou presque à voir avec.

Bref, comme je l’avais déjà écrit il y a quelques années, Wikipédia peut être fiable, mais cela dépend des sujets. L’encyclopédie en ligne essaie de se fiabiliser en poussant à l’extrême un principe que nous autres historiens connaissons bien : le croisement des sources. Mais ce raisonnement rencontre ses limites dès lors que l’on sort d’un domaine scientifique où la question des points de vue et des sensibilités s’efface devant les faits et les sources. Dans le domaine artistique, en particulier, ces critères semblent difficilement applicables, puisque tout est affaire de sensibilité, de goûts, de subjectivité. Dès lors, pourquoi ne pas se cantonner, dans ce domaine, à la vérification de la « neutralité » par l’imposition du contenu strictement factuel (biographie, discographie…) sans nécessairement exiger que cette information soit vérifiable ailleurs que sur le site de l’artiste et les jaquettes de ses albums ? Voila. C'est moins soigné que d'habitude et ça ne parle pas d'histoire, mais c'est ce que j'avais à dire aujourd'hui.

vendredi 18 avril 2014

1914 : L'enquête d'un Sherlock transalpin (quelques mots sur 1914 de Luciano Canfora, paru en 2014 chez Flammarion)

Le week-en dernier, j'ai rendu une petite visite à un ami historien pour lui remettre une vieille histoire du mouvement en huit volumes que j'avais récupérée et dont je ne savais que faire, mais qui pouvait de toute évidence intéresser un historien de la Commune de Lyon - qui devrait d'ailleurs bientôt publier un ouvrage sur le sujet dont je ne manquerai pas de vous rendre compte sur ce blog. La tradition du troc, pour ne pas dire du potlatch, étant encore vivace à la Guillotière, je suis reparti chez moi avec un bouquin tout beau tout neuf : 1914, de l'historien et philologue italien Luciano Canfora. C'est de ce formidable petit ouvrage que je voudrais vous parler aujourd'hui. 




L'auteur

Luciano Canfora, puisque c'est de lui qu'il s'agit, est professeur de philologie grecque et latine à l'université de Bari, mais il est surtout connu des italiens - si j'en crois une collègue transalpine - pour ses collaborations régulières au Corriere della Sera et à La Stampa, ainsi que pour ses conférences de vulgarisation historique sur les ondes de la radio publique italienne. 1914, paru en 2006 en Italie et tout récemment chez Champs/Flammarion pour la traduction française, est justement, est justement un recueil de conférences radiophoniques données avant 2006 et ayant pour but d'explorer les facteurs du déclenchement de la Grande Guerre, dont nous fêtons si je m'abuse le centenaire cette année.

19+1

En 19 chapitres et un épilogue, tirés d'autant de courtes conférences, Canfora explore donc dans ses moindres détails ou presque l'année 1914 chez les différents belligérants, de la relation entre Bismarck et Guillaume II à la guerre des propagandes, de l'attentat de Sarajevo à la campagne de Belgique en passant par l'émergence de Lénine ou Mussolini. Rien de bien neuf, certes, mais beaucoupn de fraîcheur. Facile d'accès, l'ouvrage a le mérite de ratisser large et de sortir des sentiers (re)battus de l'historiographie de la Grande Guerre version grand public.

Vu d'Italie

On sort en effet du discours traditionnel sur la Première Guerre mondiale, qui mèle bien souvent histoire et mémoire et, en France, est principalement centré - en ce qui concerne la vulgarisation - soit sur l'histoire-bataille et les épisodes héroïques des taxis de la Marne et autres, soit sur une histoire de la vie quotidienne (allestaggeschischte ?) du front ou de l'arrière, du poilu et de sa chère famille.
L'un des principaux mérites de ce livre est donc d'avoir été écrit par un Italien.
Evidemment, cela implique de la part du lecteur français un petit effort d'adaptation, l'auteur supposant que son auditoire possède quelques bases en histoire de l'Italie contemporaine - oui, il faut savoir ce que sont les "terres irrédentes" et avoir une vague idée de qui est Alcide de Gasperi. Mais cela permet aussi et surtout de dépasser la vision française de la Première Guerre, trop souvent une histoire de vainqueur.
L'Italie, certes, est aussi un vainqueur de 14-18. Mais le pays, membre de la Triplice en froid avec l'allié autrichien, qui entre en guerre tardivement et du coté de l'Entente être longtemps resté neutre, et qui connait à Caporetto la seule grande rupture de front du coté occidental, est surtout un vainqueur déçu, frustré. L'idée d'une "victoire mutilée", puisque les "terres irrédentes" du Trentin et du Haut-Adige ne sont pas rétrocédées, sans parler des cotes de l'Adriatique réclamées comme anciennes possessions de la République de Venise, restent dans l'entre-deux guerres la grande obsession de l'Italie, accompagnant le glissement vers le fascisme. L'historiographie italienne est donc, sur cette période, très différente de son homologue française, ce qui nous permet de jeter sur l'année 1914 un regard neuf, avec notamment un regard très intéressant sur les positions autrichiennes et allemandes - pays dont l'Italie est d'abord l'alliée -, les guerres balkaniques et l'attentat de Sarajevo - on vient de voir que la région intéressait de près le gouvernement italien.

Un très bon petit livre, donc, qui permet, en cette période de célébrations mémorielles, de garder à l'esprit qu'il n'est pas de mémoire sans histoire - bien plus que l'inverse, d'ailleurs. D'autant que, cerise sur le gâteau, l'ouvrage fai actuellement l'objet d'une offre de la part des éditions Flammarion, ce qui pourrait vous permettre de vous le procurer gratuitement chez votre libraire (enfin, il doit falloir acheter quelque chose quand même...).

Sur ce, à plus, et n'hésitez pas à réagir !

mardi 11 février 2014

Berstein en live à l'IEP : réponse à une spectatrice curieuse

Il y a quelques jours, ayant besoin d’une secrétaire compétente, j’emmenai ma compagne à une conférence à l’IEP de Lyon. Serge Berstein y intervenait, à la demande de l’association Ogmios, sur le thème « Fascisme d’hier, populisme d’aujourd’hui ? ». Or l’excellente dactylographe qui m’accompagnait est aussi une jeune femme intelligente. Elle a donc décidé de donner sur son blog une synthèse humoristique de la conférence, dont elle reprend avec brio les points essentiels. Vous pouvez lire cet article en cliquant ICI. Et d’ailleurs, je vous conseille de le faire, parce que sinon, vous ne comprendrez pas grand-chose à ce que je vais écrire. Pour vous faciliter la tâche, je vous ai remis le lien ICI aussi. Et ICI.

Ca y est ? Vous avez lu ? L’article se termine donc par deux questions adressées à un certain  M’sieur Sambuis – votre serviteur –, auxquelles je vais donc tenter de répondre avant d’entrer plus avant dans la conférence de Serge Berstein en vous exposant les quelques réflexions qui me sont venues sur le chemin du retour – et devant un plat de sushis, puisqu’on ne peut rien vous cacher.

« Il a pas parlé de la Russie »

Non, c’est vrai, il n’en a pas parlé. Pas un mot de la Russie d’avant la chute de l’URSS. Peut-être parce que les exemples de la Hongrie, dont le gouvernement est ouvertement populiste, de l’Autriche, où le parti d’extrême-droite de l’ambivalent Jorg Haider a participé à la coalition gouvernementale il y a quelques années, et des partis populistes français contemporains, FN et FDG, suffisaient à montrer ce qu’il voulait montrer. Il ne faut pas multiplier les exemples devant une assistance aussi nombreuse et jeune, on risquerait de les perdre…
Ta question, petite fille, est donc judicieuse, mais mérite quelques éclaircissements préalables. Déjà, on ne parle pas de goulag pour les prisons de Poutine. C’est pas poli, mieux vaut utiliser des euphémismes comme « camp de rééducation politique » ou quelque chose dans ce goût. Parce que c’est bien de ça qu’il s’agit, de rééducation. Goulag, ça fait communiste. Tu n’accuserais quand même pas Vladichou d’être un rouge ? De plus, Poutine ne laisse pas les pays voisins « se tuer entre eux », il crée volontairement un climat d’instabilité en soutenant des régimes autoritaires dans les républiques caucasiennes de la Fédération de Russie, comme celui de ce brave Kadirov en Tchétchénie, ou encore en intervenant dans les provinces à forte minorité russe – Ossétie du Sud et Abkhazie – du Nord de la Géorgie, pour éviter que cette dernière ne se rapproche trop de l’Occident. Ca s’appelle diviser pour mieux régner. Parce que la Russie d’aujourd’hui est sans doute un peu nostalgique de la grande URSS. Mais on ne peut en aucun cas y voir le bellicisme d’un régime fasciste. Pour ce qui est du coté populiste, on peut certes considérer que la très forte popularité de Poutine – ses scores, eux, sont sans aucun doute dignes de l’URSS –, ses appels à la fibre patriotique, voire à un nationalisme exacerbé, l’absence de réelle condamnation de la xénophobie, très présente et qui aboutit à de nombreuses agressions contre les immigrés originaires des anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale et du Caucase – qui n’ont pour ainsi dire aucun droit, soit dit en passant –, la mise en avant de Vladimir Poutine, torse nu et pectoraux toniques en couverture de la presse, tout cela fait franchement penser au populisme tel que le décrit Berstein. Mais je pense qu’en Russie, cette tendance populiste se mélange à beaucoup d’autres choses.
Déjà, le système fédéral semble entrer en contradiction avec l’idée d’un Etat fort. D’autant que les dirigeants, anciens cadres soviétiques reconvertis dans les affaires et la politique, ne sont pas tous aussi proches du peuple que Vladimir, loin s’en faut. La Russie d’aujourd’hui, pour moi, c’est un savant mélange de populisme, d’autoritarisme, d’oligarchie, et surtout de vodka et de Jeux Olympiques, histoire que la population ne s’intéresse pas de trop près à tout ça.
Voila pour ta première question, même si je suis à peu près aussi expert de la Russie que Berstein de la Corée du Nord. D’ailleurs, c’est peut-être aussi parce qu’il maitrisait moins bien cet exemple que ceux qu’il a développés qu’il ne l’a pas utilisé.

« Le capitalisme du début du XXIe siècle, c’est pas une forme de totalitarisme ? »

Bon… Mon propos, ici, c’est pas de faire de la politique ou de hurler avec les loups que le FN et Mélenchon c’est pas la même chose. C’est pas non plus de te dire que le capitalisme c’est pas bien, même si je le pense parfois un peu. Par contre, c’est vrai que Berstein l’a dit : le totalitarisme parfait, c’est 1984. Et Big Brother, il est pas mal présent dans la société actuelle.
La société de consommation produit sans aucun doute un effet de coercition très fort qui nous pousse à normer nous-mêmes notre comportement. Nous sommes donc – et là aussi, ça ne fait aucun doute – poussés à acheter une Xbox qui nous surveillera pendant notre sommeil. Mais est-on pour autant dans une situation de contrôle total de la société par un pouvoir politique ? Certes non, même si, en effet, il est plus que probable que la CIA puisse nous surveiller via Facebook, Xbox live, Gmail et World of Warcraft. Qu’elle le fasse réellement ou non n’est pas la question, puisque la conscience de la surveillance devrait nous pousser à l’autocensure.
Pourtant, ça ne me semble pas être le cas, même si ce n’est qu’une simple observation tirée de mes propres réseaux. La réponse, c’est donc qu’il n’y a pas vraiment de réponse : l’œil de Big Brother est sans doute là, mais Big Brother lui-même n’existe pas vraiment. Nous rendons volontairement publique, que ce soit ou non conscient, une partie plus ou moins importante de notre vie. Mais il n’appartient qu’à nous – tu le fais très bien – de choisir ce que nous rendons public, de compartimenter, de conserver des espaces privatifs dont nous sommes libres de choisir la taille.
Et en définitive, même si cette ultra publicité d’une partie de notre vie privée peut nous conduire à nous autocensurer par peur du contrôle, il ne tient qu’à nous de choisir ce que nous soumettons à ce contrôle potentiel, limitant ainsi l’espace de ce totalitarisme 2.0.

L’introuvable conclusion de l’historien

Après ces deux questions d’une actualité brûlante, vient le temps d’un retour à l’histoire. Ce n’est certes pas indispensable, mais la volonté de vulgarisation de Berstein, dont la conférence fut d’une simplicité qui m’a étonné face à un auditoire qu’on pourrait croire plus compétent en histoire – la séance de questions m’a donné tort pour une partie dudit auditoire –, me conduit à essayer de « traduire » ses conclusions en les insérant dans des schémas familiers pour l’historien des droites que je suis.
Reprenons. On a vu dans la synthèse de la conférence que le populisme pouvait se résumer à un nombre limité d’ingrédients : appel au peuple, rejet de l’autre (c’est-à-dire, le plus souvent, xénophobie), rejet aussi de la démocratie libérale, qu’on veut remplacer par quelque chose de plus « efficace » – je vous laisse deviner tout ce qu’on peut mettre derrière ce mot –, nationalisme exacerbé, et éventuellement, dans l’Europe contemporaine, rejet de l’UE et volonté de revenir à un « avant » fantasmé et idéalisé. Pour le fascisme, c’est un peu la même chose, mais avec un petit plus : le bellicisme et la violence exacerbée du discours et de la pratique, qui se traduit notamment par un pouvoir autoritaire à tendance totalitaire.
Ce n’est un secret pour personne, Berstein a fréquenté notre père à tous : René Rémond. Ce dernier, dans Les Droites en France, paru pour la première fois en 1953, définit dans le cadre français trois droites : légitimiste, orléaniste et bonapartiste, chacune portant l’héritage d’une des formes de monarchie qu’a connu notre pays au XIXe siècle. Lorsqu’on lui pose la question du fascisme, René Rémond explique le considérer comme un simple avatar du bonapartisme, au même titre, d’ailleurs, que le gaullisme. Les éléments communs au fascisme et au populisme que nous venons de définir sont en effet très similaires au bonapartisme tel que le décrit Rémond, et dont on a vu se développer différentes variantes, du boulangisme aux ligues et au gaullisme. On peut dès lors considérer que le populisme est bien un bonapartisme au sens rémondien.
Mais qu’en est-il du fascisme ? La dimension belliciste est certes là aussi commune au bonapartisme, ou en tout cas à la pratique du pouvoir de Napoléon. Mais la dimension révolutionnaire et le penchant totalitaire du fascisme semblent quelque peu sortir du cadre. En introduisant une rupture nette entre fascisme et populisme, dont il semble bien vouloir montrer que, s’ils présentent des similitudes, ils ne doivent en aucun cas être confondus ou assimilés, Berstein semble donc s’inscrire dans la lignée de Zeev Sternhell, théoricien de la quatrième droite, une droite révolutionnaire, autrement appelée fascisme. Le fascisme vise à renverser le régime en place, à la différence du populisme pour qui cet aspect est surtout un discours de façade. Le populisme – et donc Jean-Luc Mélenchon – n’est donc révolutionnaire que dans les mots, dans l’attitude. Et pan. Mais je ne fais pas de politique, sinon comme historien, et vous pouvez donc oublier ce que je viens d'écrire. 

Sur ce, à bientôt pour de nouvelles aventures, et n'hésitez pas à réagir, partager, m'écrire, me poser des questions, retweeter, en parler à votre boulangère, boire un verre à ma santé, etc.


mercredi 29 janvier 2014

Mon colloque "Education aux médias". Journée 2, Médias : une fabrique de la violence et de la surveillance ?

Comme pour l'article précédent, dont vous trouverez ici la suite (je vous conseille donc de lire d'abord le début) je tiens à préciser que ce qui suit n'est en aucun cas un compte-rendu objectif. Ce sont mes impressions, ce qui me restera de ces deux jours. Toutefois, je tiens à la disposition de qui le désire ma prise de notes, par simple demande (commentaire ou Twitter, @yannsambuis).

Après un nouveau lot d’émotions fortes – merci la SNCF –, nous repartons donc pour une nouvelle journée de folie. J’arrive en retard de 20 min environ, et tout le monde est encore en train de prendre le café dans le hall, ce à quoi les succulentes mini-viennoiseries offertes par l’Académie de Grenoble ne sont sans doute pas étrangères.

Ouverture

C’est cette fois Guy Cherqui, IA-IPR, qui accompagne Yaël Briswalter, Délégué académique au numérique pour ouvrir la journée. Le DAN commence par se féliciter du succès de l’émission de webradio de la veille – je me sens un peu honteux de ne pas être resté, d’autant que j’ai été interviewé – et en profite pour rappeler le sens que ce type de projets donne au travail par compétences, grâce à une interdisciplinarité et un but concret qui permettent d’accrocher tous les élèves, quand l’enseignement traditionnel tend à ne fonctionner réellement qu’avec une élite.
Guy Cherqui met ensuite à profit son indéniable talent de tribun. C’est un véritable frisson qui parcourt les échines de l’assistance lorsqu’il exhorte les enseignants et éducateurs à rompre avec une école où règne la peur, peur de l’examen, du règlement, de la sanction, de l’enfermement physique et intellectuel, dans des établissements où le carnet de correspondance, au départ outil de communication avec les familles, devient l’indispensable, le sauf-conduit, le laissez-passer sans lequel rien n’est possible. Pour cela, selon lui, une solution : une école de la guidance, où le professeur enseigne on side et non plus in front, où l’on sortirait des exercices figés et du cadre rigide des disciplines. C’est là la piste proposée par Guy Cherqui pour sortir d’un cercle vicieux où la violence à l’école répond sans cesse à la violence de l’école. C’est son avis.

JVV

Si l’on n’est pas forcément d’accord sur le fond, il faut reconnaître que chez Guy Cherqui, l’art oratoire le dispute à celui de la transition. Cette dernière est en effet toute trouvée avec la conférence de Laurent Bègue, qui revient sur un sujet classique, le rapport entre violence et jeux vidéo violents (JVV), qu’il observe avec le regard du psychologue social.
Le directeur de la Maison des Sciences de l’Homme des Alpes se propose ainsi de répondre à une question simple : les JVV ont-ils une fonction cathartique ou exacerbent-ils la violence ? Au terme d’un exposé brillant, quoique parfois un peu technique, il semble ainsi qu’il y ait bien un lien entre pratique des JVV et violence IRL (in real life). En outre, c’est bien le jeu qui crée ou entretient la violence, sans effet de catharsis, même s’il peut parfois apparaître comme un exutoire. Surtout, la pratique intensive modifie durablement la perception de la violence réelle, avec des conséquences inconnues sur le long terme.

Algorithmique

Vient ensuite le moment de la conférence qui fut sans doute l’un des temps forts de cette seconde journée. Partant de ce qui peut sembler n’être qu’une anecdote – la censure par Facebook d’un nu féminin publié sur la page du musée du Jeu de Paume qui faisait –, Mathieu Loiseau, chercheur en environnements numériques, livre quelques clés pour comprendre les algorithmes qui permettent à Facebook de contrôler les milliards de photos publiées par ses utilisateurs. Dans un second temps, quelques principes de base ayant été posés, on voit se dessiner les contours du système d’analyse des données mises en ligne par les utilisateurs, M. Loiseau démontrant par des moyens très simples que les algorithmes du réseau social traitent jusqu’au contenu des messages personnels, ce qui lui permet de personnaliser à l’extrême les publicités vues par chaque membre – enfin, pas tous : moi, j’ai Adblock –, le tout sans la moindre entorse à la loi, cette utilisation intégrale des contenus postés sur la plateforme étant prévue par les CGU acceptées par les utilisateurs lors de leur inscription.
A la fin de cette courte mais brillante intervention, une conclusion s’impose : il semble indispensable, pour répondre à l’exhortation de Christian Jacob et devenir braconnier du web, d’acquérir au préalable un bagage de connaissances et de capacités techniques, de savoir computer comme on sait lire ou écrire, comme l’annonçait il y a longtemps déjà Eric Bruillard.

Back to the workshop

Cette fois, les ateliers sont répartis autour de la pause méridienne. Dans un premier temps, je découvre le temps d’une discussion sur les stéréotypes genrés dans les médias le collectif CORTECS, dont nous reparlerons, avec des analyses très intéressantes, sinon originales. Le temps de déjeuner – avec ma grand-mère, je sais que ma vie vous passionne – et c’est reparti. Cette fois, les excellents Yaël Briswalter et Delphine Barbirati nous présentent un projet très original de révision de bac de français utilisant la page Spotted des L du lycée Vaugelas pour publier des poèmes réalisés à partir des textes du corpus de l’examen, que les élèves retravaillent avec des techniques inspirées de l’Oulipo. On retiendra en particulier le savoureux « Une passante du Luxembourg », hybride de deux poèmes bien connus. Le tout s’accompagne d’une introduction en classe des smartphones (BYOD inside !) et d’une réflexion sur le droit d’auteur.

Autodéfense intellectuelle

Après ces deux ateliers très stimulants, retour au CRDP pour une dernière conférence, judicieusement nommée « conférence de clôture » sur le programme. C’est Denis Caroti, animateur de mon atelier du matin, professeur de SPC et membre du CORTECS (Collectif de recherchestransdisciplinaire esprit critique et sciences), qui est chargé de refermer en beauté ces deux journées de colloque. Elève d’Henri Broch et membre du Cerclede zététique, il tente de nous transmettre quelques notions d’autodéfense intellectuelle – l’expression est de Noam Chomsky. L’idée est de se prémunir contre les nombreux biais de la vulgarisation scientifique, en particulier dans les médias de masse. On voit ainsi Laurent Delahousse faire des idées fumeuses des frères Bogdanov « une théorie audacieuse contestée par une partie de la communauté scientifique » – et seulement une partie – à une heure de grande écoute, tandis que Science&Vie empile les titres « choc » pour un contenu pas toujours à la hauteur, induisant en erreur le commun des mortels qui ne fait qu’apercevoir la couverture, et que « Les secrets du magnétisme » cache en fait une énième médecine parallèle.
Face à cela, une seule arme : l’esprit critique, qu’il faut cependant former. Denis Caroti donne ainsi un aperçu de la manière dont on peut transmettre à des lycéens les rudiments de la méthode scientifique – approuvée par Popper et Cie – ce qui est bien sûr impossible sans des rudiments de culture scientifique.

C’est sur cette intervention brillante et drôle que se referme un colloque riche d’enseignements pour le jeune professeur que je suis. Quelques contacts noués sur Twitter devraient me permettre de poursuivre l’exploration de cette approche très intéressante du métier d’enseignant. 

Et bien sûr, je vous rappelle que je tiens à la disposition de qui le désire ma prise de notes, par simple demande (commentaire ou Twitter, @yannsambuis). N'hésitez pas à me contacter ;)

mardi 28 janvier 2014

Mon colloque "Education aux médias". Journée 1 : Ecriture et travail collaboratif


Depuis septembre, je ne suis plus seulement jeune chercheur, et presque plus étudiant, même si je suis inscrit en doctorat. J'enseigne l'histoire-géographie en lycée général dans l'académie de Grenoble. Cela m'amène à découvrir les nombreuses passerelles qui existent entre mon intérêt ancien pour l'histoire numérique, en particulier la vulgarisation, et l'évolution récente de l'enseignement. J'ai ainsi eu l'opportunité de me rendre à Grenoble pour un colloque très intéressant. Ceci n'est en aucun cas un compte-rendu objectif. Ce sont mes impressions, ce qui me restera de ces deux jours. Toutefois, je tiens à la disposition de qui le désire ma prise de notes, par simple demande (commentaire ou Twitter, @yannsambuis).

Je suis un homme de convictions. Des fois, j’aimerais l’être un peu moins, mais c’est comme ça. Ce mercredi 22 janvier, alors que je sors d’une semaine moralement éprouvante et que je pourrais me contenter d’aller dispenser mon heure de cours de seconde à Pont-de-Beauvoisin, je me lève donc à 5h30 – ça ne me change pas beaucoup, me direz-vous – pour partir à Grenoble, assister au colloque organisé au CRDP sur le thème de l’éducation aux médias, et plus particulièrement au numérique. Après quelques péripéties ferroviaires, j’arrive donc au dit centre de documentation aux alentours de 8h30. Le hall est déjà bondé. Entre café, jus de fruit et viennoiseries, on tente de nous vendre divers ouvrages se rapportant au thème du colloque. Pendant ce temps, un écran permet de suivre l’actualité – encore faible – du hashtag #educmedia2014 sur Twitter. La grande classe. Un petit tour par les listes d’émargement et les inscriptions aux ateliers de l’après-midi, et c’est parti.
L’auditorium est superbe. Dommage qu’il n’y ait en tout et pour tout que 4 prises électriques pour environ 150 participants. Pour un colloque s’intéressant en grande partie au numérique, c’est ballot… Mais qu’importe, je réussirai à squatter une prise pour les deux jours.

Ouverture

Ces détails techniques réglés, on entre dans le vif du sujet avec l’ouverture de la première journée par Yaël Briswalter, Délégué académique au numérique, et J.-L Durpaire, IGEN. Tous deux rappellent la prégnance actuelle des enjeux liés aux médias dans l’enseignement, l’éducation aux médias et au numérique étant appelée à intégrer le socle commun de compétences du collège. M. Durpaire insiste notamment sur la nécessité pour la France de ne pas rester à la traine du monde anglo-saxon, très en pointe dans ce domaine, à l’image du BETT Show de Londres. Les orientations grandes de l’édition 2014 ; mobilité, équipement personnel des élèves (BYOD, bring your own device), réseaux sociaux et informatique comme discipline scolaire, seront d’ailleurs à l’honneur tout au long du colloque. L’allocution se termine sur une présentation de ce que devrait être la future éducation aux médias et à l’informatique, avec 3 dimensions essentielles : accès à l’information, production et diffusion de contenus, et last but not least, accès à une compréhension du monde de l’information et des médias.

Lieux de savoir

Commence alors l’un des temps forts de ce colloque, le propos introductif de Christian Jacob, directeur d’études à l’EHESS, à la tête du projet « Lieux de savoir ». Je ne m’étendrai pas sur son propos, qu’il a lui-même mis en ligne sur le carnet Hypothèses (p. 1, p. 2, p. 3, p. 4) de son équipe de recherche et que je vous conseille de lire dans le texte pour en conserver la saveur intacte. J’en retiendrai seulement l’idée d’une mutation de la géographie des savoirs à l’ère du numérique, de nouveaux lieux de savoir émergeant (MOOC, groupes de travail, blogs…) qui doit  nous plus que jamais nous inciter à reconfigurer notre carte personnelle, à être à la fois géographes et géomètres, mêlant cartographie générale et connaissance fine du terrain, voyageurs, nomades et braconniers – selon l’expression de Michel de Certeau –, souci permanent qu’il importe de transmettre à de jeunes générations qui baignent dans le numérique au point, souvent, de s’y noyer.

Wiki

Après une pause repas – un fort gras et indigeste tacos pour moi, on ne se refait pas – on reprend en compagnie de deux « geeks du savoir ». Quand on parle de diffusion des savoirs su internet, Wikipédia est sans doute le médium qui vient le plus immédiatement à l’esprit. Même si son image s’est assez largement améliorée depuis quelques années, le monde de l’enseignement reste encore très prudent, très suspicieux à l’égard de cet outil, qui est pourtant devenu la première plateforme de diffusion de connaissances en ligne. Ce ne sont sans doute pas les mots de Thomas Darbois, de Wikimédia France, et Mathias Damour, fondateur de l’encyclopédie Vikidia, destinée aux 8-13 ans, qui amèneront les plus réticents à changer d’avis. Si leur exposé montre bien, entre des éclaircissements parfois bien obscurs pour le néophyte sur le fonctionnement des wikis, l’intérêt de telles plateformes dans le cadre de travaux d’écriture collaborative, offrant des pistes très intéressantes dans le cadre de la pédagogie dite « du projet », les deux hommes sont bien loin de rassurer totalement sur la fiabilité des contenus. En son temps, Roy Rosenzweig avait montré, dans un excellent article, qu’en ce qui concerne l’information factuelle en histoire, les contenus de l’encyclopédie collaborative étaient aussi fiables sinon plus que ceux de l’American National Biography Online, Darbois et Damour ont dressé un portrait des wikis qui, s’il se voulait flatteur, insistait bien plus sur la stratégie de « recherche de popularité » de certains auteurs que sur la fiabilité des articles. En outre, l’insistance des intervenants sur l’absolue nécessité de citer ses sources, qui sert de caution « scientifique » à la plateforme, et qui ne s’accompagne d’aucune vérification de la fiabilité de ces sources – sans parler de légitimité, concept rejeté par l’encyclopédie en ligne –, et la volonté de « représenter tous les points de vue » sur un sujet, qui peut conduire à des absurdités scientifiques telles que la mention de théories créationnistes (plus fréquentes sur le portail anglophone), pourraient sembler jeter le discrédit sur le projet qu’ils sont venus défendre. C’est bien dommage, car ce qu’on a omis de nous dire, c’est que, comme l’avait montré Rosenzweig, ces quelques réserves a priori ne valent plus lorsque l’utilisateur sait à quoi il a affaire, et que, dès lors, il est tout à fait possible de travailler avec Wikipédia.

Ateliers

A peine le temps d’un café, et la joyeuse troupe que forme le public du colloque quitte le CRDP pour le lycée Mounier. Au programme, ce qui fait la fierté de toutes les formations estampillées EN – enfin, c’est l’aperçu que ma maigre expérience m’en a donné –, les ateliers. Place, donc, à des discussions plus ou moins productives en groupes restreints (une dizaine de personnes), autour de projets présentés par des collègues et faisant la part belle aux médias numériques. Comme j’ai choisi des ateliers tournant autour des arts plastiques et des lettres, je ne m’étendrai pas dessus outre mesure. Sachez seulement que oui, on peut enseigner en utilisant les réseaux sociaux. J’ai été tout particulièrement séduit, je l’avoue, par la performance holographique réalisée par les élèves de L de N. Anquez à Annecy, et par l’expérience de poésie sur Twitter menée par D. Regnard, qui compare la contrainte des 140 signes à celle des 12 syllabes de l’alexandrin.


Soumis à des impératifs ferroviaires, je dois malheureusement quitter les lieux sans repasser par le CRDP où je me suis laissé dire que le mot de clôture de Guy Cherqui et l’émission de webradio présentée par des lycéens grenoblois et écoutable en ligne >>>ici<<< furent des moments fameux.

Edit : Vous pouvez maintenant lire >>>la suite<<<!!!